Des fois, je repense à lorsque mes filles étaient petites et que mes journées me paraissaient comme la journée de la marmotte à force de répéter mes nuits chaotiques , les changements de couches, les suces tombées à la mer et les purées de légumes à mettre au congélateur. Ma belle-mère jamaïcaine, qui habitait au deuxième avait le tour de descendre et me faire sentir comme la mère parfaite tout en partant une brassée de lavage sans que je m'en rende compte. Le trou du pantalon de la petite se réparait comme par magie. Elle se souvenait de ce sentiment... Son bagage, son humilité et sa sagesse savait me valoriser et me faire sentir adéquate.
Elle m'a un jour offert un livre à lire dans mes temps libres. Des livres, j'en ai lu... mais lui m'a touché particulièrement. C'est l'histoire d'une communauté autochtone qui vivait en Alaska. Cette légende décrit une dure période de famine et la déchirante décision qu'un chef d'une de ces tribus nomades du prendre afin d'épargner le pire à son peuple. Il dû annoncer à deux femmes âgées, une de 80 ans et l'autre de 75 ans, qu'ils devaient poursuivre leur route sans elles.
Elles étaient un fardeaux, avaient depuis quelque temps laissées leurs responsabilités aux plus jeunes pensant qu'elles avaient assez donné. Elles croyaient qu'il était temps qu'on s'occupe d'elles...
Seules, assises sur un gros tronc d'arbre, celles-ci devront décider si elles se laisseront mourir ou si elles pourront puiser à l'intérieur afin de trouver la force et le courage de survivre par elles-mêmes.
N'est-ce pas tragique de laisser une personne âgée derrière, sans nourriture et sans protection? Heureusement, ce n'est qu'une légende et que nous sommes en 2018.
Pourtant, j'aimerais vous parler d'Hélène. Elle a 73 ans et vit à Québec au deuxième étage d'un immeuble à logement. Depuis plusieurs années déja, elle s'occupe de sa mère en alternance avec sa soeur. Elle doit la laver le dimanche et la visiter régulièrement. À l'automne, elle informe son médecin qu'elle se sent toujours fatiguée, qu'elle n'a pas d'appétit et qu'elle sent son coeur battre très fort dans sa poitrine. Il lui prescrit des antidépresseurs. Un peu après les fêtes, sa condition n'a pas changée. Avec l'intention d'aller visiter sa mère, elle chute dans ses escaliers ce qui lui occasionne deux plaies aux tibias qui ne sont toujours pas guéries 4 mois plus tard. En Avril, elle demande de l'aide à son médecin l'informant qu'elle ne sort plus, que son état ne s'améliore pas, qu'elle ne dort plus et se réveille en sursaut, en diaphorèse à toutes les heures de la nuit. Il lui prescrit des anxiolytiques et des pilules pour dormir. Elle appelle son fils régulièrement mais dernièrement, elle l'appel plus souvent. Elle lui dit que ça ne va pas, qu'elle ressent une pression dans la poitrine. Elle compose le 911 sous les conseils de ce dernier, passe quelques heures à l'urgence et revient à la maison en soirée.
La prochaine étape consiste à faire une demande auprès d'une travailleuse sociale du clsc afin d'évaluer et cerner les besoins d'Hélène. Le problème est qu'il est difficile de cibler le problème. Serait-elle trop médicamentée? A-t elle besoin d'être évaluée en physiothérapie vu sa chute? Souffrirait t'elle d'une dépression? Le fardeau familial l'aurait-elle épuisé au point de ne plus vouloir sortir?
Enfin! La travailleuse social fera son évaluation par téléphone. La mauvaise nouvelle est qu'Hélène n'est pas assez hypothéquée pour bénéficier d'une évaluation approfondie. Lorsqu'on l'appelle, elle répond plus vite que l'éclair. ''Ils ne veulent pas de moi'' nous répond-t elle. Et c'est à ce moment que le peu d'espoir s'évade lourdement.
Lorsque l'on apprend qu'une personne âgée est retrouvée décédée dans sa maison, cette nouvelle fait le tour des tablettes en un coup de vent. Lorsque l'on apprend du suicide du proche d'un proche, on se demande s'il y avait des signes, si nous aurions pu l'aider. La pub de SOS suicide se partage alors des miliers de fois sur facebook!
Mais là, ça ne pourrait être plus clair! Hélène nous dit que ça ne va pas et demande de l'aide à son médecin, au clsc et à qui veut bien l'entendre mais il n'y a pas de service aux numéros composés.
Selon le site du ministère de la famille du Québec, le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus au Québec en 2017 était de 1 553 112. Le vieillissement de la population, bel et bien amorcé au Québec, s'accentuera à mesure que les cohortes nombreuses nées dans les années 1950 et 1960 vieilliront. J'ose espérer que le cas d'Hélène est un cas isolé mais je sais qu'il ne l'est pas. Faut-il attendre une autre tragédie? Notre tour viendra aussi mais aujourd'hui, c'est le tour d'Hélène.
Je ne blâme surtout pas la travailleuse sociale débordée, mais plutôt le manque de ressources et possiblement le manque d'importance ou priorité accordé à la santé mentale et à nos personnes âgées.
J'aimerais bien vous dévoiler le ''punch'' du livre ''Two old women'' mais je vais me retenir. Qu'une légende puisse raconter que deux femmes âgées ont du être abandonnées pour donner une chance aux plus fort est une chose. Mais de savoir qu'en 2018, au Québec, une femme âgée fait appel à notre aide, à plusieurs services et qu'elle ne satisfait pas les critères, est notre réalité.
Ce livre vous donnera peut-être l'inspiration de survivre quand le moment viendra ou votre bouée de sauvetage ne sera pas disponible faute de critères satisfasants notre système de la santé.
Peut-être y aura t'il une légende à notre égard un jour. Ce sera l'histoire d'une vieille femme qui malgré ses appels à l'aide aura été délaissées par la société son état n'étant pas assez urgent. Il y aura bien sûr un titre choquant en première page du journal que nombreux lecteurs partageront sur les réseaux sociaux avec un emoji triste ou fâché... En fait ce ne sera pas une légende mais plutôt dans nos livres d'histoire.
La fin du livre est surprenante autant du point de vue des deux femmes que du chef de la tribu et de ses membres. Peut-être saurons nous sauter sur l'occasion nous aussi d'améliorer le sort de notre peuple? Il devrait en être notre mission de prendre soin de ceux qui nous ont légués la richesse de notre culture. Qu'attendons nous pour agir?
Sarah Bachand
Livre: Two old women par Velma Wallis
Commentaires
Enregistrer un commentaire